Après l'introduction qui suit, le texte de Kant est reproduit en caractères gras et les explications correspondantes à chaque paragraphe sont intercalées entre les paragraphes en gras.
Introduction
Kant publie les Fondements de
C'est le premier livre que Kant consacre entièrement à la question de la morale ou du devoir. Dans la Critique de
Dans la Préface (p. 71-86), Kant explique le titre des FMM. Il distingue deux sciences :
Le plan du livre consiste à partir des jugements moraux de la conscience commune (Première section) pour remonter à un premier principe a priori (Deuxième section). La suite du livre revient en chemin inverse, du principe de la volonté libre (
Résumé de
Kant part de ce qui a de la valeur morale. Ce ne sont pas des qualités de l'action ou des conséquences de l'action (être heureux ou réussir), mais de la volonté de celui qui agit. Une action est morale si la volonté était bonne : c'est donc une intention morale qui compte. La volonté bonne est guidée par
La bonne volonté est la volonté d'agir par devoir. Il ne suffit pas d'agir d'une manière en accord avec ce que le devoir exige. Pour qu'une action soit morale et que la volonté soit bonne, il faut avoir fait l'action uniquement par devoir et non pour d'autres motifs intéressés. Par exemple, quelqu'un qui ferait une bonne action pour être récompensé ou pour gagner l'estime des autres aurait bien une action en accord avec le devoir mais on ne dirait pas qu'il avait une Bonne Volonté. Il faut qu'il ne soit guidé que par le Respect du devoir et par rien d'autre. Le Respect n'est donc pas un sentiment intéressé.
Si la volonté est guidée par des désirs immédiats comme faire plaisir alors elle n'est pas non plus une Bonne Volonté. L'action vraiment morale tire sa valeur du principe de l'action et ce principe doit être quelque chose d'universel que seule
Explication du texte :
I – Distinction de la loi objective de la raison et des principes subjectifs de la volonté
Toute chose dans la nature agit d'après des lois. Il n'y a qu'un être raisonnable qui ait la faculté d'agir d'après la représentation des lois, c'est-à-dire d'après les principes, en d'autres termes, qui ait une volonté :
Kant compare deux formes de phénomènes dans la réalité :
1) les phénomènes de la nature = tout ce qui arrive à un être purement matériel (un objet par exemple), et qui est entièrement déterminé (qui obéit aux lois de la nature, c’est-à-dire aux lois découvertes par la science physique).
Exemple : un objet, s’il est lâché va tomber nécessairement en respectant la loi de la gravitation universelle (qui dit en gros que tout corps qui tombe est attiré vers le bas selon une certaine équation qui met en rapport sa masse, sa vitesse, et la distance entre le début de la chute de l’objet et la terre).
Donc quand Kant dit que toute chose dans la nature (c’est-à-dire dans le monde) agit d’après des lois, cela veut dire que l’objet ne va pas tomber à n’importe quelle vitesse, mais en respectant cette loi de la gravitation.
2) les êtres raisonnables (les hommes parce qu’ils disposent d’une raison (mais seulement considérés du point de vue de leur esprit, et non pas du point de vue de leur corps, parce que le corps obéit aux lois de la nature –ils tombent par exemple selon la loi de la gravitation), mais ça pourrait être aussi les anges, s’ils existent, parce qu’ils sont définis comme disposant aussi d’une raison), en revanche, agissent d’après la représentation des lois parce que quand je me donne une règle (ici synonyme de principes ou de lois – et on verra la différence entre principe et loi plus loin) j’ai conscience de me la donner, je me la représente donc mentalement dans mon esprit. Ce n’est pas naturellement que je me donne comme règle d’aller à l’école – parce ce n’est pas un mouvement spontané de mon corps, comme est un mouvement spontané de la pierre que de rouler si une cause extérieure la pousse. Au contraire pour que j’aille à l’école (pour que j’obéisse à cette loi), il faut d’abord que j’ai eu conscience (et la conscience c’est bien la faculté de se représenter quelque chose, comme on l’a définie dans le cours sur la conscience) qu’il fallait, pour telles et telles raisons que j’y aille (par exemple parce que cela contribuerait à mon bonheur, ou tout simplement parce que mes parents m’obligent à y aller). Mais ce n’est certainement pas un mouvement nécessaire de mon corps, comme on l’a dit du mouvement de la pierre. Donc la pierre agit d’après dès lois, sans le savoir, puisqu’elle n’a pas de conscience, elle n’a pas de représentation de ses lois, alors que l’être raisonnable agit en respectant des lois qu’il s’est d’abord représentées dans sa conscience. Et parce que lui, seul, au contraire des objets, dispose d’une volonté (d’une faculté de choix), qui est une des facultés (en plus de la raison) de l’esprit.
*Puisque, pour dériver les actions des lois, la raison est requise, la volonté n'est rien d'autre qu'une raison pratique.
Puisque, quand je connais la loi, il faut que ma volonté détermine (choisisse) quelle action il faut faire pour respecter cette loi, et que la loi m’est connue grâce à ma raison, la volonté s’appelle une raison pratique (qui permet de savoir quelle action il faut faire). Il y a deux manières, pour la volonté, de choisir l’action qu’elle va accomplir. Kant énumère ces deux manières possibles pour la volonté, de choisir son action, dans le passage qui suit :
Si la raison chez un être détermine infailliblement la volonté, les actions de cet être qui sont reconnues nécessaires, objectivement sont aussi reconnues telles subjectivement, c'est-à-dire qu'alors la volonté est une faculté de choisir cela seulement que la raison, indépendamment de l'inclination, reconnaît comme pratiquement nécessaire, c'est-à-dire comme bon.
1) Si la raison choisit ce que la volonté doit faire, et que la volonté respecte toujours (« infailliblement ») la raison, les actions de cet être raisonnable sont nécessaires (elles ne peuvent pas ne pas avoir lieu, puisque, comme on vient de le dire, la volonté suit toujours (et ce qui est nécessaire, c’est ce qui a toujours lieu). Et elles seront nécessaires à deux points de vue :
a) objectivement : à tous les points de vue, pout tous les êtres raisonnables
b) subjectivement : du point de vue de l’être qui se donne cette loi, d’un seul point de vue individuel.
Pratiquement nécessaire : ce qui est nécessaire pour bien agir (la pratique, c’est l’action).
Donc, quand la volonté choisit selon la raison, l’action choisie sera nécessaire pour tous les êtres raisonnables (objectivement), et en particulier pour l’être individuel qui se sera donné cette action (subjectivement) parce que cette action sera choisie indépendamment de l’inclination (c’est-à-dire du penchant, du désir). Dans ce premier cas, l’action est alors autonome, puisque, comme nous l’avons défini dans le cours sur la liberté, l’obéissance de la volonté à la raison, indépendamment du désir, s’appelle l’autonomie.
Mais si la raison ne détermine pas suffisamment par elle seule la volonté, si celle-ci est soumise encore à des conditions subjectives (à de certains mobiles) qui ne concordent pas toujours avec les conditions objectives, en un mot, si la volonté n'est pas encore en soi pleinement conforme à la raison (comme cela arrive chez les hommes), alors les actions qui sont reconnues nécessaires objectivement sont subjectivement contingentes, et la détermination d'une telle volonté, en conformité avec des lois objectives, est une contrainte ; c'est-à-dire que le rapport des lois objectives à une volonté qui n'est pas complètement bonne est représenté comme la détermination de la volonté d'un être raisonnable par des principes de la raison sans doute, mais par des principes auxquels cette volonté, selon sa nature, n'est pas nécessairement docile.*
2) La deuxième manière, pour la volonté, de choisir son action, c’est en ne respectant pas la loi que lui impose la raison. On n’est donc plus dans le cas de l’autonomie. « Si la raison ne détermine pas à elle seule la volonté » signifie : s’il n’y a pas que la loi de la raison qui intervient dans la décision, mais aussi des causes provenant de la sensibilité, c’est-à-dire du penchant ou du désir (ce que Kant appelle des mobiles) alors la loi de la raison qui commande mon action est vécue par la volonté comme une contrainte, puisque justement elle s’oppose au désir. Ces actions, dit Kant, sont toujours nécessaires objectivement (au sens où il faut les faire) mais elles sont subjectivement contingentes parce que la volonté suppose comme possible de les faire ou de ne pas les faire (si ses désirs s’y opposent). Or ce qui est contingent c’est ce dont le contraire est possible. Donc lorsqu’il y a plusieurs actions possibles, on dit que le choix est contingent, et là il y a deux choix possibles ; celle où la volonté obéit à la loi de la raison, et celle où elle obéit à ses désirs (penchants, inclinations, mobiles).
La représentation d'un principe objectif, en tant que ce principe est contraignant pour une volonté, s'appelle un commandement (de la raison), et la formule du commandement s'appelle un IMPERATIF.
La représentation mentale d’une loi (une loi peut se définir comme une règle objective, c’est-à-dire qui doit valoir pour tous les êtres raisonnables) qui est contraignante pour la volonté (parce qu’elle s’oppose à ses désirs) s’appelle un commandement (de la raison), et la formule de ce commandement (la formulation de ce commandement, puisque l’on a plutôt parlé de formulation dans le cours) s’appelle un impératif.
Tous les impératifs sont exprimés par le verbe devoir (sollen – verbe devoir en allemand), et ils indiquent par là le rapport d'une loi objective de la raison à une volonté qui, selon sa constitution subjective, n'est pas nécessairement déterminée par cette loi (une contrainte).
Tous les impératifs sont de la forme « tu dois », puisque la loi à laquelle tout être raisonnable doit obéir (c’est pour cela qu’elle est objective) consiste dans le commandement (Or commander c’est dire « tu dois »), et c’est la raison qui commande à la volonté qui, subjectivement (du point de vue, non pas de tous les hommes, mais du point de vue individuel) ne respecte pas forcément cette loi, si la volonté décide de faire passer ses désirs avant le devoir. Et c’est parce que la volonté fait passer ses désirs avant le devoir, ou du moins est toujours tentée de le faire, que ce commandement peut être appelé une contrainte.
Ils disent qu'il serait bon de faire telle chose ou de s'en abstenir; mais ils le disent à une volonté qui ne fait pas toujours une chose parce qu'il lui est représenté qu'elle est bonne à faire.
Les êtres raisonnables qui doivent obéir à la raison disent qu’il serait bon de faire une chose ou de ne pas la faire (par exemple il serait bon d’être généreux et il serait bon de ne pas mentir) parce qu’il savent, grâce à leur raison pratique ce qui est bien ou mal, mais comme cela n’est pas toujours (voire rarement) en accord avec leurs désirs, ils ne respectent pas toujours cette loi, ce que dit Kant en disant que leur volonté « ne fait pas toujours une chose dont ils ont pourtant conscience (cette chose leur est représentée, or, c’est la conscience qui me représente les choses) qu’elle est bonne, et qu’ils devraient la faire.
Or cela est pratiquement bon, qui détermine la volonté au moyen des représentations de la raison, par conséquent non pas en vertu de causes subjectives, mais objectivement, c'est-à-dire en vertu de principes qui sont valables pour tout être raisonnable en tant que tel.
Or, ce qui est pratiquement (moralement) bon, c’est ce qui est déterminé (défini) par les idées (représentations) de la raison, par conséquent non pas à cause (en vertu) de causes subjectives (de désirs personnels, d’inclinations, de penchants, de mobiles (sensibles – issus de la sensibilité et non pas de la raison), mais objectivement, c’est-à-dire à cause de règles (principes) qui sont valables pour tout être raisonnable en tant que tel (ce qui vaut pour une totalité, c’est ce qui est objectif).
Ce bien pratique est distinct de l'agréable, c'est-à-dire de ce qui a de l'influence sur la volonté uniquement au moyen de la sensation en vertu de causes purement subjectives, valables seulement pour la sensibilité de tel ou tel, et non comme principe de la raison, valable pour tout le monde *.
Ce bien moral (pratique) est différent de l’agréable, c’est-à-dire de ce qui a un effet sur la volonté pour des raisons subjectives (c’est-à-dire à cause de désirs, penchants, inclinations qui ne sont pas valables pour tout le monde, qui ne sont donc pas une règle de la raison, mais qui sont issus de la sensibilité (des désirs, des penchants, des inclinations)).
Une volonté parfaitement bonne serait donc tout aussi bien sous l'empire de lois objectives (lois du bien); mais elle ne pourrait pour cela être représentée comme contrainte à des actions conformes à la loi, parce que d'elle-même, selon sa constitution subjective, elle ne peut être déterminée que par la représentation du bien.
Mais une volonté qui choisit selon le Bien, qui obéit à la loi objective de la raison, ne considère donc pas l’impératif moral comme une contrainte, puisqu’elle a choisi d’y obéir. Ici la subjectivité de sa volonté s’accorde avec l’objectivité de sa raison. « Représentation du bien » signifie « idée du bien ».
Voilà pourquoi il n'y a pas d'impératif valable pour la volonté divine et en général pour une volonté sainte ; le verbe devoir est un terme qui n'est pas ici à sa place, parce que déjà de lui-même le vouloir est nécessairement en accord avec la loi.
C’est pourquoi il n’y a pas d’impératif moral pour Dieu (« la volonté divine ») ou pour un saint (« une volonté sainte »). On ne peut pas parler de devoir pour un Dieu ou pour un saint ; ils ne sont pas soumis au devoir ; ils n’ont pas de devoir puisqu’ils respectent toujours la loi. Donc il n’existe pas d’acte qu’ils devraient faire, puisqu’ils font déjà tout ce qu’ils doivent faire (« parce que déjà de lui-même le vouloir est nécessairement en accord avec la loi » de la raison).
Voilà pourquoi les impératifs sont seulement des formules qui expriment le rapport de lois objectives du vouloir en général à l'imperfection subjective de la volonté de tel ou tel être raisonnable, par exemple de la volonté humaine*.
Voila pourquoi les impératifs sont seulement des formules qui s’appliquent à d’autres volontés que des volontés saintes ou divines, puisqu’elles s’appliquent aux volontés dont la subjectivité est imparfaite puisqu’au lieu de suivre la raison, elle veut suivre ses désirs, ses passions, ses penchants. Ce qui est le cas de la volonté humaine. Le rapport entre les lois objectives (celles qui doivent valoir pour tous les êtres raisonnables) et la volonté subjective qui ne veut pas, ou ne respecte pas ces lois objectives pourrait être décrit comme un conflit, comme un rapport conflictuel.
II – Distinction de l’impératif hypothétique et de l’impératif catégorique
Or tous les impératifs commandent ou hypothétiquement ou catégoriquement. Les impératifs hypothétiques représentent la nécessité pratique d'une action possible, considérée comme moyen d'arriver à quelque autre chose que l'on veut (ou du moins qu'il est possible qu'on veuille).
Tous les impératifs commandent de deux manières : soit hypothétiquement, soit catégoriquement.
1) les impératifs hypothétique concernent les actions qui ne sont pas nécessaires, mais seulement possibles, et ils dictent les moyens nécessaires (« nécessité pratique » : de l’action) cette fois pour accomplir ces actions, c’est-à-dire pour accomplir une fin, un but (désignés par Kant dans le texte comme : « quelque chose que l’on veut « ou « qu’il est possible que l’on veuille ») ; c’est-à-dire pour qu’elles ne restent pas seulement possibles, mais qu’elles deviennent réelles.
Exemple : Si tu veux apprendre à jouer du piano, fais des gammes : le but contingent (on peut ne pas faire cette action ; c’est donc seulement une action possible) est de jouer du piano ; le moyen nécessaire pour atteindre ce but est de faire des gammes.
L'impératif catégorique serait celui qui représenterait une action comme nécessaire pour elle-même, et sans rapport à un autre but, comme nécessaire objectivement*.
2) L’impératif catégorique commande une action absolument nécessaire ; c’est-à-dire qu’il faut faire absolument (et pas seulement comme moyen d’autre chose que l’on peut choisir ou pas : « sans rapport à un autre but). Cette action ne représente pas, comme dans le cas de l’impératif hypothétique, le moyen en vue d’autre chose). Mais il faut que tout le monde veuille cette action (c’est en ce sens là qu’elle est « nécessaire objectivement »).
Puisque toute loi pratique représente une action possible comme bonne, et par conséquent comme nécessaire pour un sujet capable d'être déterminé pratiquement par la raison, tous les impératifs sont des formules par lesquelles est déterminée l'action qui, selon le principe d'une volonté bonne en quelque façon, est nécessaire. Or, si l'action n'est bonne que comme moyen pour quelque autre chose, l'impératif est hypothétique ; si elle est représentée comme bonne en soi, par suite comme étant nécessairement dans une volonté qui est en soi conforme à la raison le principe qui la détermine, alors l'impératif est catégorique*.
Les impératifs définissent des actions nécessaires, puisqu’elles définissent des actions bonnes (mais certains des ces impératifs (les hypothétiques) définiront des actions relativement bonnes (bonnes à certaines conditions, bonnes selon certains points de vue seulement) ; dans notre exemple l’action de faire des gammes est bonne seulement si je veux apprendre à jouer du piano, sinon elle ne sert à rien), alors que d’autres (les catégoriques) définiront des actions absolument bonnes (bonnes à tous les points de vue, ce que Kant appelle « bonne en soi », à la différence de ce qui ne serait bon par exemple « que pour moi »).
L'impératif énonce donc quelle est l'action qui, possible par moi, serait bonne, et il représente la règle pratique en rapport avec une volonté qui n'accomplit pas sur-le-champ une action parce qu'elle est bonne, soit que le sujet ne sache pas toujours qu'elle est bonne, soit que, le sachant, il adopte néanmoins des maximes contraires aux principes objectifs d'une raison pratique.
L’impératif énonce quelle(s) action(s), parmi les actions possibles, seraient bonnes et il donne à voir à la conscience (il « représente ») la règle de l’action (« pratique ») que doit choisir la volonté, puisque la volonté délibère, choisit, pèse le pour et le contre, avant d’agir (« elle n’accomplit pas sur-le-champ (immédiatement) une action parce qu’elle est bonne ») parce qu’elle ne sait pas toujours parmi toutes les actions possibles laquelle est la bonne (« soit qu’elle ne sache pas toujours qu’elle est bonne »), soit parce qu’elle choisit des maximes (des règles subjectives de l’action. La maxime, par opposition à la loi, est une règle d’action, mais qui ne vaut pas universellement, c’est-à-dire pour tous les êtres rationnels). Donc parfois, voire souvent, le sujet accomplit des règles contraires à celles que la raison lui présente comme bonnes (qui sont donc « les principes objectifs (ce qui est objectif c’est ce qui vaut universellement) d’une raison pratique.
L'impératif hypothétique exprime donc seulement que l'action est bonne en vue de quelque fin, possible ou réelle.
L’impératif hypothétique désigne une action qui est bonne seulement en vue de quelque fin, donc l’impératif hypothétique ne commande pas la fin de l’action, mais seulement son moyen. Si on reprend l’exemple du piano, on dira que l’impératif hypothétique commande de faire des gammes, c’est-à-dire le moyen pour atteindre la fin (faire des gammes).
Dans le premier cas, il est un principe PROBLEMATIQUEMENT pratique ; dans le second, un principe ASSERTORIQUEMENT pratique.
Cet impératif hypothétique peut-être de deux sortes différentes ; soit il est problématiquement pratique, si la fin dont l’impératif hypothétique dicte le moyen est seulement possible, c’est-à-dire si l’on peut ou pas se donner cette fin. L’impératif qui me dicte comment à apprendre à jouer du piano est problématique dans la mesure où vouloir jouer du piano est une fin seulement possible de l’action ; tout le monde ne décide pas d’apprendre à jouer du piano ; tout le monde ne se donne pas cela comme fin. En revanche, l’impératif est assertoriquement pratique si la fin dont l’impératif hypothétique dicte le moyen est réelle, si elle est universelle, c’est-à-dire que tout le monde se donne cette action comme fin, c’est le cas du bonheur, que tous les hommes semblent rechercher.
L'impératif catégorique qui déclare l'action objectivement nécessaire en elle-même, sans rapport à un but quelconque, c'est-à-dire sans quelque autre fin, a la valeur d'un principe APODICTIQUEMENT pratique*.
Enfin, l’impératif catégorique dicte une action obligatoire, indépendamment de la considération d’une quelconque fin. Ainsi, quels que soient les buts que je me donne (et même dans l’hypothèse où je ne voudrais rien faire), il faut quand même que j’obéisse à l’impératif catégorique. En ce sens là, Kant dit que l’action dictée par l’impératif catégorique est « objectivement nécessaire », et c’est ce que signifie d’appeler cet impératif un « principe apodictiquement pratique ».
On peut concevoir que tout ce qui n'est possible que par les forces de quelque être raisonnable est aussi un but possible pour quelque volonté, et de là vient que les principes de l'action, en tant que cette action est représentée comme nécessaire pour atteindre à quelque fin possible susceptible d'être réalisée par là, sont infiniment nombreux.
Tout ce qui est possible à réaliser par un être raisonnable (un individu disposant d’une raison) est donc un but que peut se donner la volonté (« est aussi un but possible pour quelque volonté »), donc le nombre des actions possibles à réaliser en fonction de la fin choisie de l’action son infinies : comme il y a une infinité de but possible de la volonté, les actions qui permettent de réaliser ces buts, sont infiniment nombreuses.
Toutes les sciences ont une partie pratique, consistant en des problèmes qui supposent que quelque fin est possible pour nous, et en des impératifs qui énoncent comment cette fin peut être atteinte.
Tous les problèmes scientifiques peuvent avoir une application dans l’action, et donc la science établit des impératifs qui permettent de savoir comment cette fin peut être réalisée.
Ces impératifs peuvent donc être appelés en général des impératifs de l'HABILETE. Que la fin soit raisonnable et bonne, ce n'est pas du tout de cela qu'il s'agit ici, mais seulement de ce qu'il faut faire pour l'atteindre.
Les impératifs hypothétiques problématiques (comme ils ont été définis plus haut) s’appellent des impératifs de l’habileté. Kant prend ensuite un exemple pour illustrer cette sorte d’impératif.
Les prescriptions que doit suivre le médecin pour guérir radicalement son homme, celles que doit suivre un empoisonneur pour le tuer à coup sûr, sont d'égale valeur, en tant qu'elles leur servent les unes et les autres à accomplir parfaitement leurs desseins.
L’impératif hypothétique que suit le médecin pour guérir son patient (comme par exemple l’impératif qui dicte quel médicament est adapté pour le type de maladie du patient) a la même valeur que l’impératif que suit l’empoisonneur pour tuer sa victime (par exemple il faut utiliser du cyanure). Pourquoi Kant dit-il que les deux impératifs ont même valeur ? Parce que ce qui est pris en considération ici, c’est uniquement l’efficacité de l’impératif. Un bon impératif hypothétique ; c’est-à-dire un impératif hypothétique qui a de la valeur, c’est un impératif qui dicte le moyen le plus efficace d’atteindre le but. Mais, dans le cadre de l’impératif hypothétique, la valeur du but n’est absolument pas jugée, ce n’est pas cela qui est en question. Ce n’est donc pas de comparer les fins qui est en question (parce qu’il ne s’agit pas ici d’une question de moralité) ; par exemple de savoir s’il vaut mieux guérir (être médecin) ou tuer (être empoisonneur). Ce qui est en question ici, c’est de savoir si le moyen utilisé dans chacun des impératifs est efficace, c’est-à-dire s’il est le mieux adapté au but de l’action que l’on a choisie.
Comme dans la première jeunesse on ne sait pas quelles fins pourraient s'offrir à nous dans le cours de la vie, les parents cherchent principalement à faire apprendre à leurs enfants une foule de choses diverses ; ils pourvoient à l'habileté dans l'emploi des moyens en vue de toutes sortes de fins à volonté, incapables qu'ils sont de décider pour aucune de ces fins, qu'elle ne puisse pas d'aventure devenir réellement plus tard une visée de leurs enfants, tandis qu'il est possible qu'elle le devienne un jour ; et cette préoccupation est si grande qu'ils négligent communément de leur former et de leur rectifier le jugement sur la valeur des choses qu'ils pourraient bien avoir à se proposer pour fins*.
Comme au début de sa jeunesse (voire dans son enfance), on ne sait pas quelles sont tous les buts possibles que l’on pourrait réaliser plus tard dans notre vie, les parents cherchent principalement à faire apprendre à leurs enfants une quantité de choses différentes ; ils permettent ainsi de les rendre habiles dans l’emploi des moyens en vue de toutes sortes de fins ; ils leur apprennent un grand nombre de choses (faire du piano, de la danse, du football, une langue étrangère …), parce que les enfants sont encore incapables de décider pour une de ces fins, alors qu’il serait possible qu’une de ces fins que leurs parents leur propose ne devienne pas un but qu’ils se proposent dans leur existence plus tard (« qu’elle ne puisse devenir d’aventure (par chance) réellement plus tard une visée (un but) de leurs enfants) ou au contraire, qu’elle le devienne (« tandis qu’il est possible qu’elle le devienne un jour »), et cette préoccupation est si grande qu’ils oublient, qu’ils ne pensent pas à leur apprendre à juger (à évaluer) la valeur des fins qu’ils pourraient se proposer. Ainsi les parents apprennent beaucoup de choses à leurs enfants en supposant que, au moins quelques unes d’entre elles, leur seront utiles ; mais ils ne leur apprennent pas à hiérarchiser ces fins ; et ils ne leur apprennent pas en particulier à savoir distinguer lesquelles de ces fins sont morales (c’est-à-dire absolument bonnes) et lesquelles ne le sont pas.
Il y a cependant une fin que l'on peut supposer réelle chez tous les êtres raisonnables (en tant que des impératifs s'appliquent à ces êtres, considérés comme dépendants), par conséquent un but qui n'est pas pour eux une simple possibilité, mais dont on peut certainement admettre que tous se le proposent effectivement en vertu d'une nécessité naturelle, et ce but est le bonheur.
Il y a cependant une fin que l’on peut supposer réelle chez tous les êtres raisonnables, c’est-à-dire un but que tous les hommes se donnent universellement, une fin qu’ils se donnent comme en respectant une loi nécessaire (que l’on ne peut pas ne pas respecter), et cette fin, c’est le bonheur.
L'impératif hypothétique qui représente la nécessité pratique de l'action comme moyen d'arriver au bonheur est ASSERTORIQUE.
Comme on l’a dit plus haut, un impératif hypothétique dont la fin n’est pas seulement possible, mais aussi réelle, s’appelle un impératif hypothétique assertorique. C’est le cas de l’impératif hypothétique qui recherche le bonheur, puisque, nous dit Kant, tous les hommes recherchent le bonheur.
On ne peut pas le présenter simplement comme indispensable à la réalisation d'une fin incertaine, seulement possible, mais d'une fin que l'on peut supposer avec certitude et a priori chez tous les hommes, parce qu'elle fait partie de leur essence.
Or cet impératif ne commande pas une fin seulement possible mais une fin qui existe avec certitude chez tous les hommes et qui est a priori (qui est innée), parce qu’elle fait partie de la définition de l’homme (de son essence).
Or on peut donner le nom de prudence, en prenant ce mot dans son sens le plus étroit, à l'habileté dans le choix des moyens qui nous conduisent à notre plus grand bien-être.
On a vu que les impératifs hypothétiques problématiques s’appelaient des impératifs de l’habileté. Kant nous dit ici que les impératifs hypothétiques assertoriques s’appellent des impératifs de la prudence.
Aussi l'impératif qui se rapporte aux choix des moyens en vue de notre bonheur propre, c'est-à-dire la prescription de la prudence, n'est toujours qu'hypothétique ; l'action est commandée, non pas absolument, mais seulement comme moyen pour un autre but*.
Mais cet impératif ne commande pas absolument, puisque l’impératif commandant le bonheur est seulement un impératif hypothétique, mais non pas catégorique. Si je dis que je veux apprendre le piano pour être heureux, l’impératif qui me dicte comment apprendre à jouer du piano ne me commande pas absolument, puisque j’ai la possibilité de ne pas vouloir apprendre le piano.
Enfin il y a un impératif qui, sans poser en principe et comme condition quelque autre but à atteindre par une certaine conduite, commande immédiatement cette conduite. Cet impératif est CATEGORIQUE. Il concerne, non la matière de l'action, ni ce qui doit en résulter, mais la forme et le principe dont elle résulte elle-même ; et ce qu'il y a en elle d'essentiellement bon consiste dans l'intention, quelles que soient les conséquences. Cet impératif peut être nommé l'impératif de
En revanche, comme on l’a vu, il y a un impératif qui commande absolument, c’est-à-dire qu’il faut absolument respecter ; quelque soit l’action que l’on se donne comme but, et cet impératif se nomme donc un impératif catégorique. C’est le seul impératif qui me dicte ce qui est absolument bon ; et ce qui est absolument bon, c’est l’intention de l’action. Cet impératif ne dicte pas une matière à l’action (un contenu, une action qu’il faut faire) mais il dicte seulement sa forme (c’est-à-dire quelle forme, voire quelle formule l’action doit respecter pour être bonne, pour être morale). Je ne peux pas savoir immédiatement si une action est morale ; je ne peux le savoir que si cette action respecte une certaine forme (énoncée dans l’une des trois formulations de l’impératif catégorique).
L'acte de vouloir selon ces trois sortes de principes est encore clairement spécifié par la différence qu'il y a dans le genre de contrainte qu'ils exercent sur la volonté. Or, pour rendre cette différence sensible, on ne pourrait, je crois, les désigner dans leur ordre d'une façon plus appropriée qu'en disant : ce sont ou des règles de l'habileté, ou des conseils de la prudence, ou des commandements (des lois) de la moralité. Car il n'y a que la loi qui entraîne avec soi le concept de d'une nécessité inconditionnée, véritablement objective, par suite d'une nécessité universellement valable, et les commandements sont des lois auxquelles il faut obéir, c'est-à-dire se conformer même à l'encontre de l'inclination. L'énonciation de conseils implique, il est vrai, une nécessité, mais une nécessité qui ne peut valoir que sous une condition objective contingente, selon que tel ou tel homme fait de ceci ou de cela une part de son bonheur ; au contraire, l'impératif catégorique n'est limité par aucune condition, et comme il est absolument, quoique pratiquement nécessaire, il peut être très proprement nommé un commandement. On pourrait encore appeler les impératifs du premier genre techniques (se rapportant à l'art), ceux du second genre pragmatiques (se rapportant au bien-être), ceux du troisième genre moraux (se rapportant à la libre conduite en général, c'est-à-dire aux mœurs)*.
Les trois genres de principe sont :
1) impératif de l’habilité qui me commande quel moyen je dois réaliser dans la perspective d’une fin à atteindre (et indépendamment de la question de la moralité de cette fin) : dictent des règles (qui ne sont pas forcément des commandements puisque je ne suis pas obligé de me donner ces règles, qui ne sont pas inconditionnelles (elles ne doivent pas être appliquées dans toutes les circonstances) mais seulement conditionnelles (elles doivent être appliquées uniquement si on veut réaliser le but qu’elles proposent). (autre nom : impératifs techniques se rapportant à l’art (ici art au sens de savoir-faire)).
2) Impératif de la prudence qui s’applique à la question de la recherche des moyens d’atteindre le bonheur : dictent des conseils, et non pas des règles, parce qu’il n’y a pas de règle de conduite certaine pour être heureux. Autant je sais ce qu’il faut faire pour apprendre à jouer du piano ; il faut faire des gammes ; autant il n’y a pas de « recette » pour être heureux. Même si je me donne comme règle d’action d’être en bonne santé et riche, il n’est pas sûr que cela suffise à me rendre heureux (impératifs pragmatiques).
3) Impératif catégorique qui dicte quelles formes doivent prendre les actions qui visent le Bien ; quelles sont donc les actions morales dictent des commandements ou des lois, c’est-à-dire des règles qu’il est nécessaire de respecter (autre nom : impératifs moraux).
Et chacune de ces fins entretient un rapport différent à la contrainte qu’elles imposent dans la perspective de la réalisation de l’action, comme il est indiqué dans les trois cas.
[Maintenant cette question se pose : comment tous ces impératifs sont-ils possibles ? Cette question tend à savoir comment on peut se représenter, non pas l'accomplissement de l'action que l'impératif ordonne, mais simplement la contrainte de la volonté, que l'impératif énonce dans la tâche à remplir. Comment un impératif de l'habileté est possible, c'est ce qui n'a certes pas besoin d'explication particulière. Qui veut la fin, veut aussi (en tant que la raison a sur ses actions une influence décisive) les moyens d'y arriver qui sont indispensablement nécessaires, et qui sont en son pouvoir. Cette proposition est, en ce qui concerne le vouloir, analytique ; car l'acte de vouloir un objet, comme mon effet, suppose déjà ma causalité, comme causalité d'une cause agissante, c'est-à-dire l'usage des moyens, et l'impératif déduit le concept d'actions nécessaires à cette fin du seul concept de la volonté de cette fin (sans doute pour déterminer les moyens en vue d'un but qu'on s'est proposé, des propositions synthétiques sont requises ; mais elles concernent le principe de réalisation, non de l'acte de la volonté, mais de l'objet). Que pour diviser d'après un principe certain une ligne droite en deux parties égales, il me faille des extrémités de cette ligne décrire deux arcs de cercle, c'est sans doute ce que la mathématique nous enseigne uniquement au moyen de propositions synthétiques ; mais que, sachant que cette action seule permet à l'effet projeté de se produire, si je veux pleinement l'effet, je veuille aussi l'action qu'il requiert, c'est là une proposition analytique ; car me représenter une chose comme un effet que je peux produire d'une certaine manière, et me représenter moi-même, à l'égard de cet effet, comme agissant de cette même façon, c'est tout un].
Passage trop technique pour que vous soyez interrogés dessus.
Les impératifs de la prudence, si seulement il était aussi facile de donner un concept déterminé du bonheur, seraient tout à fait de la même nature que ceux de l'habileté ; ils seraient tout aussi bien analytiques. Car ici comme là l'on pourrait dire que qui veut la fin veut aussi (nécessairement selon la raison) les moyens indispensables d'y arriver qui sont en son pouvoir.
Passage trop technique pour que vous soyez interrogés dessus.
Mais, par malheur, le concept du bonheur est un concept si indéterminé, que, malgré le désir qu'a tout homme d'arriver à être heureux, personne ne peut jamais dire en termes précis et cohérents ce que véritablement il désire et il veut. La raison en est que tous les éléments qui font partie du concept du bonheur sont dans leur ensemble empiriques, c'est-à-dire qu'ils doivent être empruntés à l'expérience, et que cependant pour l'idée du bonheur un tout absolu, un maximum de bien-être dans mon état présent et dans toute ma condition future, est nécessaire. Or il est impossible qu'un être fini, si perspicace et en même temps si puissant qu'on le suppose, se fasse un concept déterminé de ce qu'il veut ici véritablement. Veut-il la richesse ? Que de soucis, que d'envie, que de pièges ne peut-il pas par là attirer sur sa tête ! Veut-il beaucoup de connaissance et de lumières ? Peut-être cela ne fera-t-il que lui donner un regard plus pénétrant pour lui représenter d'une manière d'autant plus terrible les maux qui jusqu'à présent se dérobent à sa vue et qui sont pourtant inévitables, ou bien que charger de plus de besoins encore ses désirs qu'il a déjà bien assez de peine à satisfaire. Veut-il une longue vie ? Qui lui répond que ce ne serait pas une longue souffrance? Veut-il du moins la santé ? Que de fois l'indisposition du corps a détourné d'excès où aurait fait tomber une santé parfaite, etc. ! Bref, il est incapable de déterminer avec une entière certitude d'après quelque principe ce qui le rendrait véritablement heureux : pour cela il lui faudrait l'omniscience. On ne peut donc pas agir, pour être heureux, d'après des principes déterminés, mais seulement d'après des conseils empiriques, qui recommandent, par exemple, un régime sévère, l'économie, la politesse, la réserve, etc., toutes choses qui, selon les enseignements de l'expérience, contribuent en thèse générale pour la plus grande part au bien-être. Il suit de là que les impératifs de la prudence, à parler exactement, ne peuvent commander en rien, c'est-à-dire représenter des actions d'une manière objective comme pratiquement nécessaires, qu'il faut les tenir plutôt pour des conseils (consilia) que pour des commandements (prœcepta) de la raison ; le problème qui consiste à déterminer d’une façon sûre et générale quelle action peut favoriser le bonheur d’un être raisonnable est un problème tout à fait insoluble ; il n’y a donc pas à cet égard d’impératif qui puisse commander, au sens strict du mot, de faire ce qui rend heureux, parce que le bonheur est un idéal, non de la raison, mais de l’imagination, fondé uniquement sur des principes empiriques, dont on attendrait vainement qu’ils puissent déterminer une action par laquelle serait atteinte la totalité d’une série de conséquences en réalité infinie.
Passage expliqué en classe : les impératifs de la prudence, qui indiquent comment agir pour être heureux, ne sont que des conseils et ne sont pas du même ordre que les règles de l’habileté parce que je ne peux savoir avec certitude ce qui me rendrait heureux, comme on l’a expliqué plus haut, et en cours. La dernière phrase : « il n’y a donc pas d’impératif qui puisse commander de faire ce qui rend heureux (…) parce que les principes empiriques (que je découvre dans l’expérience ; c’est-à-dire dans tout ce qui a lieu dans l’espace et dans le temps) devraient, pour qu’ils puissent commander, pouvoir prévoir toutes les conséquences de mes choix, c’est-à-dire des choix que j’accomplis pour me rendre heureux. Or ces conséquences sont infinies et je ne peux les connaître car je ne dispose pas de l’omniscience (d’une connaissance infinie).
Cet impératif de la prudence serait en tout cas, si l’on admet que les moyens d’arriver au bonheur se laissent fixer avec certitude, une proposition pratique analytique. Car il ne se distingue de l’impératif de l’habileté que sur un point, c’est que pour ce dernier la fin est simplement possible, tandis que pour celui-là elle est donnée en fait ; mais comme tous deux commandent simplement les moyens en vue de ce qu’on est supposé vouloir comme fin, l’impératif qui ordonne de vouloir les moyens à celui qui veut la fin est dans les deux cas analytique. Sur la possibilité d’un impératif de ce genre, il n’y a donc pas l’ombre d’une difficulté*.
Passage hors commentaire (trop technique).
Au contraire, la question de savoir comment l’impératif de la moralité est possible, est sans doute la seule qui ait besoin d’une solution, puisque cet impératif n’est en rien hypothétique et qu’ainsi la nécessité objectivement représentée ne peut s’appuyer sur aucune supposition, comme dans les impératifs hypothétiques.
La question que se pose Kant ici est de savoir comment se fait-il qu’un impératif catégorique existe.
Seulement il ne faut ici jamais perdre de vue que ce n’est par aucun exemple, que ce n’est point par suite empiriquement, qu’il y a lieu de décider s’il y a en somme quelque impératif de ce genre ;
Ce n’est pas en se fondant sur des exemples dans l’expérience que l’on sait qu’un tel impératif existe, puisque la morale définit ce qui doit être indépendamment de ce qui est, de ce qui existe, donc de ce qui est empirique, dit Kant. Ainsi, ce n’est pas parce que peut-être que la paix n’existera jamais dans le monde, qu’il ne faut pas, d’un point de vue moral, tout faire pour qu’elle advienne.
mais ce qui est à craindre, c’est que tous les impératifs qui paraissent catégoriques n’en soient pas moins de façon détournée hypothétiques.
Le risque de l’impératif catégorique c’est qu’il soit pris pour un impératif hypothétique, qui ne vaille donc que conditionnellement. Kant prend un exemple dans la suite :
Si l’on dit, par exemple : tu ne dois pas faire de promesse trompeuse, et si l’on suppose que la nécessité de cette abstention ne soit pas comme un simple conseil qu’il faille suivre pour éviter quelque autre mal, un conseil qui reviendrait à peu près à dire : tu ne dois pas faire de fausse promesse, de peur de perdre ton crédit, au cas où cela viendrait à être révélé ; si plutôt une action de ce genre doit être considérée en elle-même comme mauvaise et qu’ainsi l’impératif qui exprime la défense soit catégorique, on ne peut néanmoins prouver avec certitude dans aucun exemple que la volonté soit ici déterminée uniquement par la loi sans autre mobile qu’elle, alors même qu’il semble en être ainsi ; car il est toujours possible que la crainte de l’opprobre, peut-être aussi une obscure appréhension d’autres dangers, ait sur la volonté une influence secrète.
Même si l’on comprend que l’impératif catégorique qui consiste à ne pas faire de fausses promesses commande absolument, et doit être obéit pour lui-même, et non pas pour l’intérêt ou l’inclination qu’il pourrait nous fournir (par exemple éviter de subir une grande honte (opprobre si l’on ne la tient pas), on n’est jamais sûre qu’il n’y ait pas un quelconque intérêt (une influence secrète) à l’origine de notre obéissance.
Comment prouver par l’expérience la non-réalité d’une cause, alors que l’expérience ne nous apprend rien au-delà de ceci, que cette cause, nous ne l’apercevons pas ?
Car ce n’est pas parce que je n’aperçois (par introspection) pas d’autre cause à mon action que la stricte obéissance au devoir, qu’une telle cause intéressée n’existe pas.
Mais dans ce cas le prétendu impératif moral, qui comme tel paraît catégorique et inconditionné, ne serait en réalité qu’un précepte pragmatique, qui attire notre attention sur notre intérêt et nous enseigne uniquement à le prendre en considération*.
Car s’il y a une cause intéressée à mon action, à mon obéissance à l’impératif, celui-ci n’est plus catégorique, mais devient hypothétique, et il devient, plus précisément, un impératif de l’habileté.
Nous avons donc à examiner tout à fait a priori la possibilité d’un impératif catégorique, puisque nous n’avons pas ici l’avantage de trouver cet impératif réalisé dans l’expérience, de telle sorte que nous n’ayons à en examiner la possibilité que pour l’expliquer, et non pour l’établir. En attendant, ce qu’il faut pour le moment remarquer, c’est que l’impératif catégorique seul a la valeur d’une LOI pratique, tandis que les autres impératifs ensemble peuvent bien être appelés des principes, mais non des lois de la volonté ; en effet, ce qui est simplement nécessaire à faire pour atteindre une fin à notre gré peut être considéré en soi comme contingent, et nous pourrions toujours être déliés de la prescription en renonçant à la fin ; au contraire, le commandement inconditionné n’abandonne pas au bon plaisir de la volonté la faculté d’opter pour le contraire ; par suite, il est le seul à impliquer en lui cette nécessité que nous réclamons pour la loi*.
Seul l’impératif catégorique a valeur de loi, parce qu’il commande absolument, et nécessairement, alors que les autres impératifs ne commandent pas absolument, mais ils ne commandent que conditionnellement, c’est-à-dire seulement à la condition que l’on se donne une certaine action, une certaine fin (ainsi un impératif de l’habileté me commande de faire des gammes seulement si j’ai l’intention d’apprendre à faire du piano). Au contraire je n’ai pas le choix de respecter ou non l’impératif catégorique, cela ne dépend pas de mon plaisir (de mon bon plaisir)
En second lieu, pour cet impératif catégorique ou cette loi de la moralité, la cause de la difficulté (qui est d’en saisir la possibilité) est aussi très considérable. Cet impératif est une proposition pratique synthétique a priori (8) et puisqu’il y a tant de difficultés dans la connaissance théorique à comprendre la possibilité de propositions de ce genre, il est aisé de présumer que dans la connaissance pratique la difficulté ne sera pas moindre.
Pour résoudre cette question, nous allons d’abord chercher s’il ne serait pas possible que le simple concept d’un impératif catégorique en fournit ainsi la formule, formule contenant la proposition qui seule peut être un impératif catégorique ; car la question de savoir comment un tel commandement absolu est possible alors même que nous en connaissons le sens, exigera encore un effort particulier et difficile que nous réservons pour la dernière section de l’ouvrage.
Quand je conçois un impératif hypothétique en général, je ne sais pas d’avance ce qu’il contiendra, jusqu’à ce que la condition me soit donnée. Mais c’est un impératif catégorique que je conçois, je sais aussitôt ce qu’il contient. Car, puisque l’impératif ne contient en dehors de la loi que la nécessité, pour la maxime (9), de se conformer à cette loi, et que la loi ne contient aucune condition à laquelle elle soit astreinte, il ne reste rien que l'universalité d'une loi en général, à laquelle la maxime de l'action doit être conforme, et c'est seulement cette conformité que l'impératif nous représente proprement comme nécessaire.
Il n'y a donc qu'un impératif catégorique, et c'est celui-ci : Agis uniquement d'après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu'elle devienne une loi universelle.
Or, si de ce seul impératif tous les impératifs du devoir peuvent être dérivés comme de leur principe, quoique nous laissions non résolue la question de savoir si ce qu'on appelle le devoir n'est pas en somme un concept vide, nous pourrons cependant tout au moins montrer ce que nous entendons par là et ce que ce concept veut dire.
Puisque l'universalité de la loi d'après laquelle des effets se produisent constitue ce qu'on appelle proprement nature dans le sens le plus général (quant à la forme), c'est-à-dire l'existence des objets en tant qu'elle est déterminée selon des lois universelles, l'impératif universel du devoir pourrait encore être énoncé en ces termes : Agis comme si la maxime de ton action devait être érigée par ta volonté en LOI UNIVERSELLE DE
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