Introduction
a) définitions
-sensation :
-perception :
En examinant avec un peu d’attention la nature de la perception, l’on se rend compte qu’elle n’est pas totalement passive (c’est, on l’a vu, ce qui la distingue de la perception), c’est-à-dire qu’elle n’est pas pure (sans mélange) récéption des données de l’expérience (des informations de ce qui a lieu dans l’espace et dans le temps), mais qu’elle résulte en partie de l’activité intellectuelle du sujet, d’une activité de construction qui consiste, au moins, en partie à produire, créer, peut-être seulement recréer, voire uniquement interpréter, l’information véhiculée dans cette perception.
b) problème
La question est donc de savoir quelle est la part du donné, et inversement, quelle est la part du construit, dans cette information. L’erreur que l’on fait donc spontanément, c’est donc de croire que l’objet perçu se trouve tel qu’on le voit, l’entend, le sent, etc. Cette croyance en l’objectivité de la perception (croyance au fait que l’objet tel que je le perçois correspond à ce qu’il est réellement) s’appelle le réalisme (croire que le perçu est identique au réel). Au contraire nous allons voir combien ce que je perçois dans la perception est le résultat d’un travail complexe de sélection et de construction, où semblent se confondre en un seul acte le sujet qui perçoit et l’objet perçu.
I - La perception est sélective : il n’y a pas de réalité, mais seulement des points de vues sur la réalité
1) Un premier critère de sélection de la perception : le point de vue géographique
Avant de se poser la question de la qualité de notre perception, à savoir si elle est « de bonne qualité » au sens où elle reflèterait son objet, tel qu’il est, donc dans sa réalité, on doit déjà remarquer que, indépendamment du point de vue qualitatif, le perçu ne peut tout simplement pas s’identifier au réel du point de vue quantitatif. En effet, il y a bien une chose qui, immédiatement, ne fait pas de doute, c’est que notre perception ne reflète pas tout le réel, dans la mesure où elle est inévitablement sélective, c’est-à-dire qu’elle ne perçoit pas tout ce que le réel lui présente comme information, mais seulement ce qui va lui être utile, ou ce qui correspond à ses intérêts immédiats. Ainsi, quand vous décidez de traverser la rue, vous êtes attentif à la circulation sur l’avenue que vous vous apprêtez à traverser, à la couleur du feu, aux autres passants sur la chaussée que vous devez éviter… bien davantage qu’à la couleur de chacune des voitures que vous avez laissées passer avant de traverser ou aux nombres d’étages des immeubles du trottoir d’en face. Inversement, quelqu’un qui a un rendez-vous à ce même carrefour, mais qui n’a pas l’intention de le traverser, ne portera sans doute pas son attention aux mêmes objets, ou aux mêmes événements que vous. Peut-être qu’il aura tout le temps de se consacrer à l’observation du de fleurs qui orne le carrefour, que, dans votre urgence à traverser la rue, vous n’aviez même pas aperçu. Enfin l’attention d’un automobiliste s’engageant dans le carrefour, sera, à son tour, bien différente de celle des deux passants que l’on vient de décrire. Or, dans ce même espace défini par le rond-point on doit bien reconnaître qu’il s’agit d’une même réalité. On comprend dès lors, dans quelle mesure, dans un premier sens, indépendamment de toute recherche d’une dimension construite dans la perception, mais déjà dans sa définition la plus immédiate de réception d’un donné sensible (le donné sensible : les informations perçues par les sens), le donné de la perception ne peut s’identifier à la réalité qu’il prend pourtant pour objet de perception.
2) Un deuxième critère de la sélection de la perception : l’intérêt immédiat de l’action
La perception est en effet une question de perspective (pas seulement, mais aussi, en premier lieu, de perspective géographique, parce que bien entendu, deux individus ne se trouvant pas au même point du carrefour ne percevront pas la même chose, et j’occupe une place qui ne peut jamais être occupée par un autre individu que moi pourrait occuper au même moment que moi – parce que sinon il serait moi – ce qui explique donc que deux points de vue géographiques ne peuvent être strictement identiques) mais ces deux points de vue sont aussi différents en fonction de mes intérêts au moment de cette perception. On doit donc penser, en ce sens, que même s’il on faisait une expérience de pensée dans laquelle on puisse imaginer deux personnes situées exactement dans la même position géographique à l’instant t, il est plus que probable qu’elles ne percevront pas non plus la même chose, parce qu’elles n’auraient pas investi (c’est ce que l’on dit) les mêmes objets au même moment, exactement comme on l’a vu dans l’exemple du rond-point. Et en ce sens on doit bien en conclure que le « réel » n’existe pas, ou que du moins, il est inaccessible dans la mesure où il ne peut jamais être saisi en tant que tel, mais l’est toujours selon certaines perspectives (géographiques et affectives (c’est-à-dire en fonction des intérêts) pourrait-on dire). Ce qui explique maintenant ces différentes perspectives non plus géographiques mais affectives c’est l’urgence de l’action. Comme dans la plupart des situations la perception n’est pas effectué dans une intention contemplative (pour observer le monde, à la manière dont l’astronome observe les étoiles) mais pour agir en utilisant les informations perçues comme moyen d’agir, on ne va retenir du monde qui nous environne que ce qui sera essentiel à l’action immédiate (la couleur du bonhomme du feu, par exemple est beaucoup plus essentielle à celui qui est au volant de sa voiture que la couleur du manteau de la passante qui vient de traverser la rue, et c’est en ce sens-là que la perception est sélective). Ainsi la perception est sélective d’une part à cause des intérêts de l’action immédiate, et d’autre part parce que la mémoire humaine (car la perception n’est qu’une mémoire immédiate) n’est pas infinie et ne peut donc pas enregistrer instantanément toutes les informations qui lui sont fournies par son environnement. Et c’est pour cette raison que la perception humaine est nécessairement sélective ; à cause de cette imperfection de la mémoire humaine qui, si elle est plus ou moins performante selon les individus, n’en est pas moins chez tous, imparfaite. Personne ne pourrait, en fermant les yeux après avoir observé le carrefour dont il vient d’être question pendant quelques temps, être capable de le décrire, ainsi que toutes les actions qui s’y déroulent, de manière absolument exhaustive.
3) Un troisième critère de sélection de la perception : le degré de conscience dont dépend l’intensité du choix : the monkey-business illusion
Il y a une troisième raison qui explique la sélectivité de la perception, c’est l’intensité du choix qui est à faire dans l’action. Plus, en effet, le choix est difficile, plus la conscience à faire ce choix est hésitante, plus l’attention (qui est un autre nom de la perception) sera aigue est donc concentrée sur le domaine d’objets sur lesquels porte le choix. Ainsi, par exemple, une célèbre illusion observée par des chercheurs américains (voir le lien : the monkey-business illusion) a fait l’expérience suivante : deux petites équipes (3 joueurs par équipe) de basket se font des passes dans un gymnase, chaque joueur ne faisant des passes qu’à un des deux autres joueurs de son équipe qu’il reconnaît en fonction de la couleur du maillot (il y a une équipe blanche et une équipe noire). Il y a donc deux ballons qui circulent sur une partie réduite du terrain délimitée pour les besoins de l’expérience. On filme la scène. Le mur du gymnase qui nous fait face et juste devant lequel s’exécutent les joueurs, est recouvert d’un rideau rouge vif. On projette la vidéo à un spectateur qui est en même temps le cobaye de l’expérience. On lui demande de compter uniquement le nombre de passe que se font les joueurs blancs pendant toute la durée de la vidéo qui ne dure pas plus d’une minute. Ce comptage nécessite une certaine concentration dans la mesure où il ne faut pas compter dans son calcul les passes des joueurs noirs (avec un deuxième ballon, donc), et que ce n’est pas toujours très aisé dans la mesure où les deux ballons, ainsi que les joueurs, ne cessent de s’entrecroiser durant leurs échanges. A la fin du film on demande au cobaye de dire combien de passes il a compté – il fallait en compter 15 – mais vous vous en doutez ce n’est pas le but réel de l’expérience, puisqu’on lui demande ensuite s’il a vu passer le grand singe au milieu des joueurs qui, s’est arrêté pendant son passage devant la caméra, puisqu’il a pris le temps de se taper plusieurs fois les mains sur la poitrine – à la manière de King Kong. Ce qui a de surprenant dans cette expérience c’est qu’une telle présence dans le cadre passe inaperçue de la moitié des spectateurs de la scène. En effet, trop occupé à compter les passes, la moitié des spectateurs n’ont tout simplement pas vus ce qu’ils avaient pourtant sous les yeux. On leur repasse l’expérience en accéléré donc dans ce deuxième film le singe reste moins longtemps que la première fois sur l’écran et pourtant, la deuxième fois, parce que 1) il en est informé et 2) parce qu’il ne consacre pas toute son attention à observer les tee-shirt blancs (alors que le singe est noir), les cobayes de l’expérience n’ont plus aucun mal à remarquer l’intrus dans la scène.
On a même compliquer l’expérience en faisant s’en aller un des joueurs noirs au milieu des échanges et en changeant la couleur du rideau au fond de la scène, qui passe progressivement au jaune, et là encore une bonne moitié des personnes interrogés n’ont pas vu ces deux changements s’opérer en plein centre de leur champ visuel. Or dans ce genre d’expérience on voit bien que la cause de la défaillance de la perception, n’est plus un défaut de mémoire, mais d’une diversion de l’attention qui est occupée à autre chose.
Conclusion
On voit donc d’emblée que tout réalisme en manière de perception doit être condamné. Mais cela ne nous dit pas encore en quoi la perception n’est pas seulement en elle-même une donnée pure de l’expérience, mais que l’individu y mêle sa propre activité psychique dans l’élaboration même de cette perception qu’il croit pourtant « recevoir » du l’extérieur.
II – L’apprentissage de la perception : la place du jugement dans la perception
1) le célèbre « morceau de cire » de Descartes, Seconde méditation métaphysique
2) Protention et rétention chez Husserl
Comme on l’a vu en I, la perception est donc une forme d’adaptation vitale au monde, et en ce sens, elle est le propre de tout être vivant. Elle ne fait qu’ordonner autour du corps les images extérieures. Et la perception est aussi anticipation de l’action puisque, comme le dit Bergson dans Matière et mémoire, il y a un lien nécessaire entre la perception et l’activité motrice, c’est-à-dire entre la perception et l’action possible du corps propre. Comme on l’a vu en I2) et I3), la perception est au service de cette action : elle découpe, dans la totalité des images qui possibles qui constituent l’univers, celles qui sont utiles à la réalisation des actions voulues par le sujet : « percevoir consiste à détacher de l’ensemble des objets l’action possible de mon corps sur eux. La perception n’est alors qu’une sélection ». Or parce que la perception est essentiellement liée à l’action du corps sur le monde qu’elle perçoit, elle est donc anticipation de cette action. Mais cette anticipation n’est possible que parce que la même action ou une action analogue a eu lieu des dizaines, voire des centaines et même plus, de fois, avant celle-ci. Ma perception est une projection de mon action dans et sur le monde que parce que, dans le passé, cette même action (ou ce même genre d’action, par exemple traverser la rue, a déjà été réalisée une infinité de fois). Donc, même si nous avons définie précédemment la perception comme une mémoire immédiate, il faut noter que cette mémoire immédiate n’a d’efficacité parce qu’elle s’accompagne de mémoire tout court, c’est-à-dire précisément de mémoire passée.
3) l’expérience de l’aveugle de Molyneux
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