mardi 1 juin 2010

Le langage (TL-TES)

Cours-dissertation : le langage est-il un pouvoir ou un obstacle ?

Introduction

Accroche, explication de l’accroche et introduction du sujet

« Qui n’a pas philosophé sur le langage n’a pas commencé à philosopher » disait Alain. Pourquoi le langage serait-il, selon le philosophe, la question philosophique par excellence, la première question de la philosophie ? Sans doute faut-il comprendre par là que la philosophie étant une forme de discours, un certain discours donc (de même que la science et la religion sont elles aussi, chacune en leur genre, des discours), il semble naturel de commencer par s’interroger sur le lieu même où se déploie la philosophie et ce lieu c’est le langage. Et donc sur la valeur du langage. Savoir ce que vaut le langage, c’est savoir en particulier ce que peut le langage, et réciproquement, ce qu’il ne peut pas. Question que le sujet qu’on se propose d’étudier pose dans les termes suivants : « Le langage est-il un pouvoir ou un obstacle ? ». En effet, savoir ce que peut le langage revient à se demander dans quelle mesure est-il un pouvoir, de même que, réciproquement, savoir ce qu’il ne peut pas consiste à se demander alors dans quelles conditions est-il un obstacle. Mais il faut alors préciser les questions appelées par ce sujet, faute de quoi elles n’ont pas de sens : si le langage est un pouvoir, il conviendra de se demander en quoi est-il un pouvoir, ce qui pourrait se reformuler ainsi : « si le langage est un pouvoir, il est un pouvoir de faire quoi ? », ou si, inversement, il vaut mieux le penser comme un obstacle, dès lors la question n’a de sens que si nous répondons à cette seconde question : il est un obstacle à quoi ? Autrement dit : à quoi, c’est-à-dire à l’atteinte de quel(s) but(s) le langage fait-il obstacle ?

Annonce du plan

Afin de répondre à ces questions, dans un premier temps, on essaiera de définir et d’énumérer les pouvoirs que peut octroyer le langage. Nous nous intéresserons par la suite aux obstacles que peut engendrer le langage, puis aux éventuelles solutions pour pallier à ces dysfonctionnements.

I - Les pouvoirs du langage

1) Un pouvoir de communication de la pensée

Tout d’abord on conviendra de dire qu’il se dégage de l’opinion un consensus selon lequel la fonction du langage résiderait dans son simple aspect communicatif. Il est vrai que l’on ne peut négliger le sens pratique du langage. Georges Mounin distingue dans un extrait de son œuvre Clefs pour la linguistique, différentes fonctions secondaires du langage (fonction métalinguistique, fonction phatique) mais ce dernier affirme avec conviction que la fonction de « communication interhumaine » est immédiate et qu’elle illustre le véritable apport du langage. Avec l’apparition du langage, on assiste à la naissance d’un véritable pouvoir ; un pouvoir de transmission, d’échange des sentiments, mais aussi du savoir. Ainsi de par sa fonction première, le langage permet de mettre en relation les gens ainsi que leurs idées et leur sensibilité mais il permet aussi d’autre part d’orienter, d’organiser et de hiérarchiser les rapports humains grâce à un facteur qui découle de la fonction communicative du langage. En effet, par l’intermédiaire de la tonalité et du mode d’usage du langage, on parvient à personnaliser la communication.

2) Un pouvoir d’élaboration de la pensée

Mais est-il bien judicieux de borner les pouvoirs du langage au simple schéma techniciste de la communication, où le langage se limiterait à un simple mécanisme de transmission d’un individu A à un individu B via un code quelconque ? Le langage possède outre cette fonction explicite et évidente des pouvoirs plus implicites mais non des moindres, à n’en pas douter.

En effet, loin d’être un simple pont entre les divers individus, le langage peut se révéler une arme redoutable pour qui sait le maîtriser. Les premiers qui parvinrent à ce stade et que l’on recense sont les sophistes. En réalité, les sophistes de par leur virtuosité rhétorique arrivaient à transformer celui-ci en une arme. Le sophiste conjugue à sa grande maîtrise de la langue une éristique, un art de la discussion proche du combat. La maîtrise du langage de ces sophistes était telle que lors des débats auxquels le peuple assistait, ceux-ci parvenait à prendre le dessus sur les arguments fondés de grands spécialistes sur le sujet traité mais qui hélas pour eux n’avaient pas le niveau oratoire de leurs adversaires. La corruption du langage réalisé par les sophistes débouche sur un vrai pouvoir mais un pouvoir dangereux où la passion parvient à soumettre la raison. La dangerosité de cette maîtrise de la langue prend une toute autre ampleur dans un contexte politique où le mode de domination charismatique parviendra à s’imposer au mode de domination rationnel : on peut citer à titre d’illustration l’exemple d’Adolf Hitler qui profitant certes d’un contexte de crise mais qui usant de son pouvoir de séduction par le langage parvient à soulever les masses.

Mais le langage heureusement ne pourvoie pas les hommes que de pouvoirs néfastes ou dangereux. Si l’on s’en tient encore une fois à ce qu’en pense l’opinion, on aurait tendance à dire que quelque chose préexisterait au langage, ce serait la pensée comme si le langage n’était que le lien entre les cordes vocales de l’individu x et l’ouïe de l’individu y qui ferait office de récepteur. Hegel, dans la Phénoménologie de l’Esprit réfute ce point de vue. Pour lui, c’est avant tout « dans les mots que nous pensons ». Il admet certes l’existence d’un phénomène antérieur à l’intervention du langage dans le mécanisme de la pensée mais pour lui ce phénomène ne peut être associé à la pensée même. Pour lui la pensée n’apparaîtrait que dans la difficulté à trouver ses mots ne signifierait pas qu’il y aurait une pensée antérieure à eux, mais que la pensée en est encore au stade de la « fermentation » si l’on peut dire, autrement dit un état embryonnaire de la pensée. Selon lui, « vouloir penser sans les mots est une tentative insensée ». Ainsi, pour Hegel, dès lors que l’on se doterait d’un langage, on se doterait en même temps d’une faculté de penser. Le langage est ici la condition de la pensée, en cela on peut affirmer que le langage est un pouvoir.

II – Le langage comme obstacle

1) Un obstacle à la connaissance de la réalité

a) Un obstacle à la connaissance des choses dans leur singularité : Bergson, Le Rire

Nous avons précédemment vu que le langage, sous différents aspects, pouvait être un pouvoir, mais le langage peut aussi s’accompagner d’effets pervers. En effet, en premier lieu Bergson, dans Le rire, nous indique que le langage a été un formidable facteur d’abstraction des choses. Il explique que nous ne contemplons pas les choses telles qu’elles sont en elles-mêmes, et que nous ne pouvons éprouver leur singularité pour deux raisons :

1) à cause de l’urgence de l’action qui nous empêche d’observer les choses en détail (voir le cours sur la perception, dans lequel toute cette argumentation est développée).

2) Parce que le langage désigne des genres essentiellement, et un genre c’est un mot qui vaut pour une infinité de choses (c’est donc un nom commun, et non pas un nom propre qui s’applique à un seul être). En effet, par contrainte de temps et par nature, l’homme classe les objets, les réunit dans des genres, des familles de mots. On comprend donc ce processus qui consiste à faire des généralités. Ainsi les mots désignent toujours chacun une infinité de choses ; par exemple le mot « stylo », s’appliquent à tous les stylos possibles et imaginables. Or tous ces stylos peuvent être très différents les uns les autres, et pourtant recevoir le même nom. Donc pour qu’un même mot puisse désigner une infinité de choses différentes, il faut qu’il ne s’applique pas à la chose qu’il désigne de façon trop précise, mais il faut qu’il ne retienne d’elle que des éléments grossiers, précisément ceux qu’elle a en commun avec toutes les autres choses qui portent le même nom qu’elle. Si bien que quand on utilise un mot pour désigner une chose, ce mot ne nous permet pas de connaître précisément, c’est-à-dire dans sa singularité, dans son unicité, la chose qu’il désigne. Ainsi si vous dites à votre voisin que vous avez perdu votre stylo, cette seule information ne lui suffira absolument pas pour savoir à quoi ressemble votre stylo, il va vous en demander une description plus précise. Mais en un sens ici, le défaut du langage, constitue aussi sa force. En effet, heureusement qu’il existe des noms communs – c’est-à-dire des noms assez vague pour s’appliquer à un ensemble de choses, parce que s’il fallait que le langage associe à chaque fois un mot à une chose, il y aurait autant de mots qu’il y a de choses (sans compter les verbes, les adverbes, les adjectifs…) ; il y en aurait donc une infinité et on n’aurait pas fini d’apprendre à parler, parce que les mots se multiplieraient à l’infini. Un tel langage, absolument singulier, n’aurait donc presqu’aucune utilité pratique, parce qu’il serait quasiment impossible à utiliser (il faudrait sans cesse apprendre des mots nouveaux, à chaque fois par exemple que l’on utiliserait un stylo différent, à chaque fois que l’on mangerait un nouveau fruit, parce que si l’on observe une pomme dans le détail, donc dans sa singularité, on se rend compte qu’effectivement elle n’est pas tout-à-fait identique à la pomme que l’on a mangé hier… Ainsi prenant conscience qu’il n’y a rien d’absolument identique dans le monde, et qu’en réalité, tout n’existe qu’en un seul exemplaire, il faudrait un mot pour tout pris individuellement, et pas seulement un mot par catégories de choses (les espèces d’animaux…).

b) Une méconnaissance du fonctionnement de la pensée due à une illusion métaphysique causée par le langage : Nietzsche, Par-delà le Bien et le Mal.

Nietzsche voit un autre piège du langage : celui-ci ne s’apparente pas seulement au processus de généralisation des choses et des sentiments comme chez Bergson. Pour lui, le langage tend à nous tromper sur la véritable nature des choses. Nietzsche prend l’exemple de la pensée dans Par-delà le Bien et le Mal ; car le « je » pense induit que c’est « je » qui pense alors que si l’on prête véritablement attention à ce qui se passe dans notre esprit lorsque nous pensons, on doit bien plutôt reconnaître que c’est elles qui s’imposent à nous et qui nous prennent au dépourvu. « Je pense » signifie bien plutôt que « des pensées surgissent dans mon esprit », mais on ne peut pas exactement dire que c’est moi qui suis à l’origine de mes pensées au sens où je les aurais choisies : ce n’est pas moi qui décide d’avoir telle idée à telle moment. On doit plutôt penser qu’au contraire, l’idée s’impose à moi, ce que sous-entend bien l’expression : « une idée m’a traversée l’esprit ». L’idée, en ce sens, m’est bien venue de l’extérieur, et si elle est venue de l’extérieur, c’est bien que je n’en suis pas à l’origine. De même lorsque l’on dit « il fait nuit », on serait tenté de supposer qu’une entité supérieure, une divinité « fasse la nuit ». Or les scientifiques offrent une explication rationnelle en guise de réfutation. La nuit est un phénomène qui s’explique par la rotation de la planète par rapport à l’astre central qu’est le soleil.

2) Un obstacle à la connaissance de nos propres sentiments

Enfin, cette explication nous amène à penser que cette défaillance du langage s’opèrerait certes comme nous l’avons vu au préalable sur les objets mais aussi sur les sentiments.

En effet, si l’on poursuit la lecture du texte de Bergson, on comprendra que la généralisation s’opère aussi dans le cas des sentiments où comme dans le cas des objets, on se borne à « coller des étiquettes ». En cela, on donne un même nom à des sentiments qui sont pourtant bien différents : la pauvreté du langage fait que nous croyons parfaitement quels sentiments nous ressentons précisément à tout moment. En réalité, de la même manière que les choses, on ne distingue que l’apparence des sentiments et pas leur réalité profonde, qui est tout en nuance. Le langage fige les sentiments, on ne distingue pas la singularité des sentiments, à cause de la généralité du langage. On tend, en uniformisant les sentiments des individus, à uniformiser les individus eux-mêmes ; or le principe d’individualité repose sur la différence. On est donc étranger à soi-même, car on n’est pas véritablement conscient de nos sentiments, on les identifie à des modèles (à des archétypes), à des expériences dont on a entendu parler, on est loin d’avoir le recul sur nos sentiments pour les comprendre : on parle d’aliénation. Le langage dégrade notre individualité. Ainsi par exemple on peut penser, nous dit Bergson, qu’il y a un très grand nombre de nuance dans ce que l’on appelle d’un nom global « la tristesse » ou « l’amour ». Or, nous dit Bergson, nous ne sommes pas tristes de la même manière quand nous sommes tristes, de même que nous n’aimons pas de la même manière quand nous aimons. Et d’ailleurs on peut remarquer que nous disons de la même manière que nous aimons les crêpes et que nous aimons quelqu’un, alors que l’on voit bien qu’il ne s’agit pas du tout de la même expérience – manger et tomber amoureux – dans les deux cas. Or c’est ce genre de nuance, pourtant très grossière dans cet exemple, que le langage a du mal à rendre sensible.

Transition

Ainsi le langage nous tromperait d’une part parce qu’il nous révèle seulement les apparences des choses et nous masque leur réalité profonde. Mais est-ce vraiment le langage que l’on doit blâmer ou l’usage qu’on en fait ? N’y a-t-il pas de solutions pour surmonter ces obstacles ?

III– Des solutions pour surmonter les difficultés du langage à remplir ses fonctions

1) la réforme du langage : à la recherche d’une langue parfaite

Descartes, parmi d’autres (Leibniz par exemple à travers son projet de Caractéristique universelle), a longtemps réfléchi sur l’existence d’une langue universelle qui pourrait pallier aux écueils du langage précédemment évoqués. Descartes pense au langage arithmétique qui pourrait faire figure de perfection en matière d’outil de communication. En effet, par ce moyen, on a une logique d’enchaînement des idées, de mise en liaison rationnelle des idées. De plus, cette nouvelle langue permet une économie de moyen, chaque nombre correspondant à une idée précise. On comprend aisément qu’avec ce mode de communication, non seulement on est plus précis, mais en plus on connaît alors l’essence même des choses du fait qu’elles sont uniques dans ce système où une idée est égale à un chiffre : ainsi, il est impossible de confondre les idées comme cela se passe dans le langage naturel où comme on l’a dit, on tend à généraliser les choses, à les classer dans des genres, à les ranger dans des ensembles, à effacer leur singularité. Mais il est pourtant aisé de comprendre les limites de cette louable solution. En effet, d’une part, il est difficile de mémoriser tous les termes premiers de cette langue du fait de l’infinité des termes que peut engendrer le langage arithmétique. De plus il se pose un second problème : pour que cette langue soit efficace, il faudrait avoir une connaissance parfaite du monde. Ce langage deviendrait donc superflu.

Enfin un dernier obstacle se présente dans la perspective de l’élaboration d’une telle langue parfaite, dira le linguiste Martinet dans ses Eléments de linguistique générale, dans la mesure où cela n’a pas vraiment de sens de parler de « réalité en elle-même », il apparaît effectivement que les perceptions de la réalité sont relatives à chaque culture, voire à chaque individu : c’est la particularité, la conception du monde de chaque société qui va faire que le langage qu’on utilise définira ce que l’on estimera être la réalité. Par exemple, en français, le mot de « travailleur immigré » peut avoir une connotation péjorative selon la relation de chaque individu à la culture française. Or, en allemand, on traduit l’expression « travailleur immigré » par « Gastarbeiter », mot-à-mot ; « l’hôte travailleur ». La conception du monde qui transparaît dans cette expression prend à contre-pied le langage issu de la conception française où l’on a tendance à oublier que c’est nous qui avons convié le « travailleur immigré » à une période où certains secteurs manquaient de main d’œuvre. Ainsi on comprend que la réalité est moulée dans le langage ; ici la langue est une interprétation parmi tant d’autres de la réalité. Le langage découpe la réalité, la façonne à sa guise. On comprend à travers cet exemple qu’il serait difficile d’établir une langue unique car on imposerait une même conception du monde à tous les individus, à tous les peuples ; on retomberait donc dans l’effacement des singularités, dans la victoire de l’homogéneisation.

2) l’art, comme expression adéquate du monde : la poésie comme synthétisant la généralité du langage et la singularité de l’œuvre d’art.

Conclusion

En conclusion on peut donc en déduire que ce n’est pas vraiment le langage qui pose le problème de la communication parfaite mais plutôt l’usage de ce langage. Donc le langage confère certes un pouvoir de communication mais qui peut être altéré par le manque de maîtrise que l’on en a.

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